Le camouflage d'une femme autiste
L’émotion ressentie lorsque nous voyons notre entourage bouger, avancer et vivre pendant que nous sommes à l’arrêt complet est impossible à décrire.
Je sais que viendra mon tour, mais en attendant, c’est difficile. Je me sens si loin de tout.
J’aime leur sourire, je les aperçois à travers ma tempête et ils me font du bien. Les voir avancer à ce qui semble pour moi, être des pas de géant me remplie de fierté pour eux.
Je ne peux pas éteindre cette brûlure au centre de ma poitrine, elle est là et elle me fait mal.
Est-ce de la tristesse, de la jalousie, de la colère…
Est-ce envers moi, eux, la vie ?
Je n’ai pas la capacité d’être à leurs côtés, mon sourire ne s’harmonise pas avec le leur pour le moment.
Sortir de mon lit est souvent une souffrance, incomparable à la violence que mon cerveau me fait quand il me souffle en boucle à quel point je suis lâche et incompétente.
Mon corps change, perd en force, je n’ai plus confiance en lui. Il ne me permet pas de continuer, même si j’essaie de le pousser, il refuse. Il a décidé que je lui en avais trop demandé et que c’en était assez cette fois.
La capitaine du navire, ce n’est plus moi. À trop mal naviguer, j’ai perdu le permis, peut-être !
Je souffre quand je suis loin parce que je souffre aussi quand je suis là, tout près…
Que dois-je faire, je ne comprends plus.
Avoir besoin d’eux et en même temps avoir besoin d’être invisible à leurs yeux.
Comment je peux réussir à traduire ces besoins si opposés.
Le repos
J’écoute les conseils : repose-toi, tu as besoin de décrocher et d’arrêter de te mettre de la pression.
Malheureusement ça ne change absolument rien, je suis dans l’incompréhension. De toute façon, c’est quoi le REPOS ?
J’ai toujours eu trop de questions dans ma tête, je suis épuisée. Voilà au moins une réponse.
C’est vrai que j’avais besoin d’énormément de repos. J’avais aussi besoin de laisser mes pensées m’envahir encore plus profondément pour laisser sortir ma vérité. Arrêter de m’étourdir pour taire ma réalité.
Je ne comprends rien.
Je fais semblant de tout, beaucoup trop souvent, tout le temps.
Quand je n’en peux plus, car camoufler demande un état d’hypervigilance constant. Sur moi-même, mes mots et ceux des autres, épuisée, je pars loin et je vis tranquillement.
À MON rythme.
Cette fois, c’est différent, je perds mes capacités, mon système entier ne répond plus.
Je dois me laisser du temps qu’on me dit. Mais du temps, je n’en ai plus. Dans ma tête, mes jours sont comptés. Parce que combien de temps je peux tenir dans l’état mental où je suis ?
Mes propres pensées me terrifient, j’ai peur du noir qui prend si soudainement toute la place dans ma tête parfois.
Trouver des réponses devient urgent. Avec des réponses, j’aurai la bonne piste de solution…
Je sens que j’appartiens à un autre monde, et une professionnelle de la santé me le confirme, après plusieurs heures, tests et questions.
Le diagnostic est là sous mes yeux.
Je suis AUTISTE.
Réalisation, j’ouvre les yeux sur le passé
J’ai donc compris que j’ai grandi dans un monde qui n’était pas adapté à mes besoins. À 31 ans, je décide de regarder derrière moi avec de nouvelles lunettes.
Munie de ma gentillesse et de mon écoute, je me suis toujours fondue dans la masse en essayant tant bien que mal de répondre aux attentes. J’en ressortais de temps en temps avec mon humour naïf et ma maladresse qui faisait rire. Je suis d’accord, c’était drôle.
Jusqu’à temps que ça ne le soit plus.
Jusqu’à temps que j’en ai assez de cette étiquette-là.
Durant mon parcours, les difficultés académiques prenaient beaucoup de place et la seule explication qu’on donnait était que je ne mettais pas assez d’effort. Si seulement ils avaient compris à quel point je donnais déjà bien au-delà de ce que je pouvais.
Les MARIEE !! Force-toi… résonnent encore dans ma tête.
La traduction dans mon esprit d’enfant incomprise : Je suis nulle et paresseuse.
Cette courte phrase deviendra vite mon mantra. Il me collera à la peau dès l’enfance, me suivra aussi à l’adolescence jusqu’à l’âge adulte.
L’interminable recherche du confort
Quand arrive le temps de mettre un pied dans le monde adulte et que tu ne comprends rien… et bien, tu improvises, ah et tu camoufles…
Camoufler l’état dépressif dans lequel tu es quotidiennement, tu ne veux pas être un poids pour ton entourage.
Camoufler aussi en ne parlant pas vraiment de toi où de tes idées puisque tu ne sais jamais vraiment ce qui est ‘’normal’’ et ce qui ne l’est pas.
J’ai donc avancé par essai et erreur, surtout beaucoup d’erreurs. Je mettais tout en œuvre pour atteindre le mode de vie IDÉAL : Être infirmière auxiliaire, une maison, un conjoint aimant et un plan d’avoir des bébés avant 30 ans.
Dépression.
Je suis alors partie essayer un autre modèle de vie, pourquoi pas la vie de jeune montréalaise qui vie de sa passion ; le café.
Dépression.
J’ai continué comme ça à essayer de me comprendre, je n’ai jamais eu peur de tout lâcher pour recommencer, je voulais absolument réussir à me sentir confortable.
Puis un jour, j’ai eu l’impression d’avoir tout essayé.
C’est là que je suis tombée.
La découverte
De toute façon, c’est quoi le repos, je disais plus haut ? Après tout mon cheminement, j’ai peut-être ma réponse.
Le repos, c’est de faire plus de choses qui te font du bien au rythme qui te fait du bien.
Pour arriver à faire plus de choses qui nous font du bien, nous devons savoir ce que nous aimons… Étant autiste sans le savoir, durant toute mon existence, j’ai fait ce que les autres aimaient me voir faire.
J’essayais difficilement de jongler entre ce que mes pairs aimaient, ce que la société voulait que j’aime, ainsi que ce que mes parents me disaient d’aimer.
Alors, je suis à la découverte de moi-même depuis.
Tout ça au rythme où mon corps me le permet. Il est maintenant et restera le capitaine du navire.
Pour ce qui est de la résolution du problème d’avoir besoin d’être loin, mais d’avoir envie d’être proche. J’irai à petite dose et j’écouterai mon corps… encore lui.
Il me fera éternellement mal de ne pas pouvoir être la femme sans autisme avec mes proches. Malheureusement le masque qu’ils ont connu n’existe plus.